A la manière des brèves de comptoir, chères à Jean-Michel Ribes, relevées dans des cafés de la ville, les réparties impertinentes ou poétiques ou coquines ou inattendues (cumulable) foisonnent dans nos villages. Elles illustrent les histoires drôles, racontées en général par les plus vieux, au coin d’un bar, lors d’un repas ou d’une foire ….Ici, en Béarn, c’est surtout dans notre langue maternelle, le Béarnais (Gascon, Occitan … j’aurai sûrement l’occasion de revenir sur ces nuances d’appellation) que s’échangent ces anecdotes passées qui mettent en valeur d’anciennes gloires locales ô combien typiques et souvent théâtrales. Cette époque ne connaissait pas encore la concurrence de la télé et d’internet.
Ces échanges, réellement entendus par moi, pour certains, ou rapportés par des proches, sont d’abord répétés en Béarnais avant leur traduction française, en se doutant bien qu’une partie de la saveur de la réplique se volatilise lors de sa traduction, comme de fait lorsqu’on passe d’une langue à une autre, quelles qu’elles soient. Les prénoms ou noms cités ont été modifiés afin de ne gêner personne (je prends cette précaution comme si des milliers de personnes se risquaient à lire ce qui suit !).
Ambroise a l’habitude de fréquenter les deux bistrots du village : Estangat et Caillabus. Dans chacun d’eux une ardoise à son nom l’attend. Quittant un jour le café Estangat avec une nouvelle dette, il revient sur ses pas et interpelle la tenancière :
» Margòt, poderès pas prestà’m dets liuras, permor non pòdi pas passar davant l’auta (Caillabus) shens béver un darrèr còp ! «
Margot, ne pourrais-tu pas me prêter dix francs, car je ne peux pas passer devant l’autre sans boire un dernier verre !
Dialogue entre un notable connu et sa femme à propos de cigarette.
La hemna : » Tostemps aquera cigarreta en la boca ! «
L’ómi : » E on volerès-tu que me la hiqui ? «
La femme : Toujours cette cigarette à la bouche !
L’homme : Et où voudrais-tu donc que je me la mette ?
A l’époque des commis de ferme, l’un d’eux se présente chez un paysan, Bernard, qui lui explique le fonctionnement de la maison et ce que serait son rôle. L’entrevue se déroule devant l’âtre de la cheminée fumante. Le commis écoute sagement son possible futur patron, sans interruption ni interrogation, et pose en fin une question :
» Lo huec qu’ei mieja vita, e adara, si bevèvam un cóp, Beñat ? «
Le feu est une moitié de vie, et si on buvait un coup maintenant, Bernard ?
Inutile de dire que l’affaire fut vite réglée.
Au bistrot du village, Ambroise et Félicien boivent leur café. Félicien est très en forme et monopolise la parole depuis quelque temps, tout en tournant sa cuiller dans la tasse, sans y avoir introduit de sucre.
Ambroise : » Hiqua-t i sucre « (Mets-toi du sucre )
Félicien continue de parler, en tournant sa cuiller.
Ambroise : » Mes hiqua-t i sucre » (Mais mets-toi donc du sucre)
Même situation : Félicien garde la parole et tourne sa cuiller dans la tasse.
Ambroise : » Mes, perdiu, hiqua-t i sucre » (Mais, nom de d…, mets-toi du sucre)
Félicien : » Hiqua-t i tu, jo que n’ei pro » (Mets-en toi si tu veux, moi j’en ai assez)
Un célèbre écrivain Oloronais du début du XXème siècle menait une vie tumultueuse, qui lui permit de fréquenter artistes et intellectuels au-delà de notre région. Il s’introduisit même dans la sphère parisienne mais mourut jeune, à 52 ans. A une voisine qui s’étonnait de cette disparition précoce, le mari trouva une réponse imagée.
La hemna : » Mes quin se morii ? «
L’ómi : » Com eth ceps, que s’ei poirit de la coda «
La femme : Mais de quoi est-il mort ?
L’homme : Comme les champignons, il s’est pourri de la q…..