Dans les Pyrénées, les transhumances débutent entre la mi et la fin juin (phase aller, de la plaine vers la montagne) et s’achèvent fin septembre début octobre (phase retour, de la montagne vers la plaine). Elles concernent principalement vaches et brebis mais aussi chèvres, ânes et chevaux.
Dans notre enfance, seul le passage d’un troupeau traversant Saint-Pée en provenance de la vallée de Barétous pouvait interrompre la partie de foot ou de rugby engagée avec les amis du village et les cousins. Ces derniers arrêtaient de courir après le ballon pour partir à la rencontre des ovins : pour nous autres citadins cela paraissait extraordinaire de ne pas terminer une action de jeu ( même si l’ailier était sur le point de déborder et marquer un essai !) pour écarquiller les yeux devant ces centaines de brebis stationnant dans un enclos qui jouxtait le café dans lequel les bergers et accompagnateurs se désaltéraient quelques instants. Depuis, le déplacement vers les estives ou en provenance de celles-ci s’effectue le plus souvent dans des bétaillères, ce qui représente bien sûr un gain de temps pour les intéressés et moins de perturbation du trafic routier, mais prive les voyeurs que nous sommes de scènes pittoresques mêlées de poésie. Dans le premier CD du groupe Camin Casa, un couplet de la chanson « Nosta lenga » évoque cette nostalgie de la transhumance pédestre :
Quin plaser d’espiar passar los tropèths d’anhèras (Quel plaisir de regarder passer les troupeaux d’agnelles)
Quan baishavan de la montanha abans lo hred (Quand ils descendaient de la montagne avant le froid)
Que caminavan tranquilets e guilharets (Ils cheminaient tranquilles et guillerets)
Ara son apielats dens camions com paquets (Maintenant ils s’entassent dans des camions comme des paquets)
On peut distinguer deux aspects de la tradition pédestre, actuellement, que j’appellerais transhumance médiatique et transhumance familiale.
La transhumance médiatique.
Elle est objet de publicité dans presse et radio locales, associée à un cérémonial ciblé, tant dans les horaires que dans les manifestations organisées autour de la procession, ceci afin d’attirer les touristes mais aussi la population de la région. On sort appareil photo, caméra … et portefeuille car ces instants sont propices à se retrouver autour d’une table ou d’une buvette. Des villages comme Laruns ou Lourdios consacrent ainsi une journée à la fin des estives où ils invitent le voisinage à partager avec eux la solennité du moment. Cette année la ville d’Oloron programmait une fête de la transhumance à laquelle j’assistais, le 04 octobre. Le troupeau de Michel Miramon (berger de Saint-Pée), constitué essentiellement de brebis, provenait d’une estive de la vallée d’Aspe, au-dessus de Sarrance. Il chemina par Lurbe, Eysus et la Route des Cimes conduisant au quartier Sainte-Croix d’Oloron. A partir de la Crois Balma située environ à 3 km de la Place Saint-Pierre, terme du voyage, le troupeau fut suivi par de nombreux marcheurs de tout âge, en particulier des chanteurs de plusieurs groupes vocaux des environs, invités par les organisateurs. Ensemble guidé par un quintet de musiciens aux instruments traditionnels, dirigé par les frères Arrosères, alternant accompagnement musical et chant, en l’occurrence « pòts cambiar ». Tout au long du parcours les habitants appréciaient le spectacle à la fenêtre ou sortaient sur le pas de porte, rejoignant même parfois le cortège. Après l’apéritif offert sur la Place, d’où jaillirent les premiers chants collectifs à capella, un repas fut proposé par la Calandreta d’Oloron et les divers groupes purent exprimer leur talent et dérouler leur registre étendu.
La transhumance familiale.
Elle se déroule en général à l’écart des projecteurs et micros, sauf il y a un an quand TF 1 filma à la Pierre saint-Martin, le départ et les premiers kilomètres de la descente, sûrement par réaction de jalousie au reportage de France 2 sur Paul Haritchabalet (4 ans) s’occupant de ses brebis en montagne quelques mois auparavant. Pour ma part j’ai participé cet été à deux de ces transhumances familiales, dont je décris quelques aspects.
De la Pierre Saint-Martin à Lanne en Barétous.
De la cabane Sottou, au Col de la Pierre Saint-Martin, jusqu’à la ferme Manaüt située entre Lanne et Barcus, le dénivelé tourne autour de 1500 m. Cette année Hélène et moi n’étions pas en Béarn lors de la montée du mois de juin, dont le trajet diffère de celui de la descente, comme on le voit sur le schéma donné un peu plus loin. Les photos qui suivent proviennent des mêmes parcours les années précédentes, tant dans un sens que dans l’autre. Comme d’habitude, la saison estivale se termine quelques jours après le week-end consacré au Concours des chiens de berger à Aramits, cette fois le 24 septembre. Avant le départ autour de 9h du matin, il fallut regrouper le cheptel un peu éparpillé durant la nuit et écarter quelques brebis ou chèvres venues de l’extérieur, peut-être pour une fête nocturne ovine. La phase suivante vit l’installation de cloches autour du cou de certaines brebis, pas n’importe lesquelles. La préparation s’achève par un casse-croûte dans la cabane et le chargement dans la voiture-balai de quelques ustensiles à redescendre dans la vallée. Les photos ci-dessous balaient quelques vues autour de la cabane.
De haut en bas : la cabane Sottou, le Pic d’Arlas situé en face (à une demi-heure à pied) et une vue de la descente vers l’Espagne (vallée de Roncal). Sur ce dernier cliché on distingue un affichage rouge au-dessous duquel se situe l’entrée du gouffre où le spéléologue Marcel Loubens perdit la vie en 1952. Une pancarte à sa mémoire est disposée devant cette entrée.
Le gouffre de la Pierre Saint-Martin
Les Pics d’Anie (2508 m) et d’Arlas (2100 m ) vus de la cabane Sottou(1800 m)
Le troupeau dans l’enclos avec la salle de traite en fond
Pour les connaisseurs de la région les parcours apparaissent sur le schéma : trajet (1) pour l’aller en juin et trajet (2) pour le retour en septembre. Sites rencontrés successivement : station de la Pierre Saint-Martin, col du Soudet, col de Suscousse, plateau de Benou puis, après la traversée du bois, retour sur la route goudronnée vers le quartier Barlanès de Lanne et enfin le village de Lanne et la route de Gastellondo, quartier de Barcus, pour atteindre la ferme Manaoüt de la famille Haritchabalet. La « promenade » s’effectue sous un ciel grisâtre, avec une température douce, ce qui facilite les efforts des marcheurs et des animaux, les uns et les autres moins incommodés par la chaleur et le soleil des précédentes années. Les photos qui viennent sont un mélange des deux situations (montée et descente).
La chienne accompagne bien sûr le troupeau
On ne se lasse pas d’entendre le « gourgoulis » du gave
Cette fois le troupeau s’étire
La première pose réelle se tient sur le plateau herbeux de Benou, après être passés à Suscousse et avoir longé les pistes de raquettes de la station d’Isarbe, pose appréciée des brebis qui, en se retournant, peuvent apercevoir au loin le Som de Lèche, du pied duquel nous sommes partis.
Deuxième arrêt conséquent à la sortie du bois donnant sur la route de Barlanès (Elicherry), vers 13h30. Halte habituellement consacrée au déjeuner, après avoir parqué le troupeau. Les photos qui suivent décrivent la halte déjeuner de l’aller, à la Mouline, autour de minuit, car la montée aux estives en juin se déroule entre 20 h le soir et 7 h le lendemain matin. Comme on le voit des amis participent parfois à la transhumance et à l’ambiance.
Le casse-croûte des marcheurs
Le casse-croûte des brebis au même moment
Pour ce qui nous concerne en ce jour, seuls se restaurent les trois accompagnateurs du départ, rejoints par Henri le porteur des victuailles. Sylvie et son fils Paul (5 ans, comme le temps passe vite !) nous attendent pour prendre le relais et continuer à mener le troupeau. Pas de souci : nous sommes mercredi après-midi et Paul n’a pas école, il peut rejoindre ses compagnes frisées de l’été. Arrêt minimum donc pour le troupeau mais, comme dit plus haut, le temps le permet et d’ailleurs, en cette journée clémente, aucune brebis ne souffrira de cette longue marche et ne nécessitera aucun soin. La voiture-balai n’entrera pas en action. Ainsi, durant plusieurs kilomètres, le troupeau suivra docilement nos deux personnages. Nous les rattraperons plus tard en voiture et nous serons alors 5 à aider les automobilistes à se frayer un passage, voitures plus nombreuses maintenant que nous nous rapprochons de la « civilisation urbaine ». Avant de s’engager sur la grande route départementale une dernière pose est proposée au troupeau et c’est vers 17 h 30 que la ligne d’arrivée est franchie, au soulagement de quelques pieds, mollets et genoux fatigués. Encore quelques photos pour illustrer ce voyage sans radio ni télévision ni écran de toute sorte : on peut survivre sans.
Echanges de regard
De Magnabaigt à Gabas.
Ma deuxième participation à la transhumance, avec Jean Fourcade, concerne celle du troupeau de vaches béarnaises de Monique et Jeantet Lahitette, de leur cabane de Magnabaigt au village de Gabas (vallée d’Ossau). À partir de Gabas les 16 vaches concernées furent chargées dans une bétaillère et acheminées à la ferme de Ledeuix.
Dans notre région prédominent quatre espèces bovines : la Bretonne (robe noir et blanc, laitière), la Montbelliarde (robe marron et blanc, laitière), la Blonde d’Aquitaine (viande) et la Béarnaise. Cette dernière, avant l’introduction du tracteur, servait à l’occasion en remplacement des bœufs pour tracter des chars, du fait de sa robustesse et de sa relative docilité. Sa production en lait restait minime mais contentait l’approvisionnement de la ferme. Si bien que peu à peu l’utilisation de la Béarnaise diminua et que la conservation de l’espèce commençait à se poser. Heureusement quelques pionniers se lancèrent ces dernières années dans sa réintroduction, notre ami plombier Bernard Mora étant un des premiers à lutter contre l’extinction de la Béarnaise. L’article ci-dessous, paru dans la « République des Pyrénées » du 09 septembre dernier, rend compte de l’état actuel du cheptel.
Entre Magnabaigt et le lac de Bious-Artigues la traversée du bois nécessita une réelle vigilance car ces dames ne sont pas aussi prévisibles que leurs cousins ovins. En effet, certaines d’entre elles prennent des initiatives de raccourci dans des terrains parfois accidentés et il faut les regrouper de temps en temps pour ne pas en perdre une. L’une d’elles veut étaler sa force et n’hésite pas à bousculer les plus jeunes : qui c’est le chef ici ? Sur la route entre Bious et Gabas la circulation automobile était bien moindre que celle que nous connaissons l’été mais il fallait rester quand même attentif à toute réaction inattendue de nos compagnes de voyage.
Fin de cette deuxième « promenade » à travers prairies, bois, chemins, villages, habitués au rythme des agnelles, brebis, génisses, vaches, bercés par la musique de leurs sonnailles. Vivement l’année prochaine pour retrouver cette ambiance sereine et rassurante dans des montagnes pour l’instant encore préservées des polluants de toutes sortes de la ville.