Entre le 16 et le 21 juillet 1981, Alain, Hélène et moi avons parcouru la Gaspésie, cette Province au nord du Québec, le long du fleuve Saint-Laurent. Alain, vivant à cette époque au Mexique nous avait rejoint dans un premier temps à Montréal, où nous accueillaient les nombreux amis québécois, connus en 1972-73 lors de mon séjour montréalais : Anne-Marie et Jean-Pierre Bourdouxhe, Christiane et Jean-Pierre Bourdouxhe, Hildège Dupuis, Carle Delaroche Vernet, Céline Brunel …. De là nous avions répondu ensuite à l’invitation de Louise Brunel et Yvan Simard en cette si belle ville de Québec. Le couple nous prêta sa voiture pour le voyage exotique en Gaspésie.
Ce 31 janvier 2019 je viens de retrouver dans un coin de notre grange le carnet personnel des années 1980 que que je recherchais depuis longtemps. Dans ce carnet, pêle-mêle je redécouvre diverses adresses, l’ébauche d’un texte d’une chanson béarnaise élaborée en juillet 1977 (canta beròja – chante la belle), divers itinéraires routiers, le compte-rendu d’un match de rugby Yerres contre Saint-Denis (j’étais à ce moment là correspondant du club de Saint-Denis au Midi Olympique), un poème écrit dans le train datant de juin 1978, des réflexions sur le club de rugby d’Oloron, le FCO, (il m’arriva d’envoyer des textes/statistiques au journal local, la République des Pyrénées) … etc… et le compte rendu quotidien de ce voyage en Gaspésie.
Ce même jour je commence à recopier aussitôt la description de notre itinéraire, sans presque rien modifier. Hélas je ne dispose pas des photos et films réalisés durant cet été 81 (mais peut-être retrouverai-je quelques traces un peu plus tard).
Avant de passer au texte voici deux schémas de la Gaspésie.
Carte notée 1.
Schéma général situant la Gaspésie par rapport aux États-Unis et au Québec, entre autres par rapport aux villes de Montréal et de Québec.
Carte notée 2.
Carte un peu plus détaillée de la Gaspésie où figurent quelques uns des sites cités en suivant. Les numéros figurant sur cette carte sont associés aux villes nommées dans le texte.
- Jeudi 16 juillet 1981 : de QUÉBEC à MATANE.
Départ de la ville de Québec (plus exactement tout à côté, à Sainte-Foy où habitent nos hôtes) à 9 h du matin par la rive Sud du Saint-Laurent, par le pont Pierre Laporte. Début du parcours par l’autoroute avant de circuler sur la route nationale à partir de Montmagny. Traversée de Saint-Jean Port Joli, sans s’arrêter, et de Kamouraska. On peut déjà apprécier la poésie de ces noms de villages qui, au retour, feront peut-être l’objet d’une halte, on l’espère. Repas du midi pris à RIVIÈRE du LOUP (1). Dans l’après-midi, passage intéressé et intéressant à Trois Pistoles (2), face à un ensemble d’îles dont l’Île aux Basques (hé oui on se croit chez nous). Il fut un instant question de passer la nuit à Le Bic (3) mais l’objectif principal restant la « Basse Gaspésie » il fut décidé de rouler pas mal durant cette première journée.
Entre Québec et Matane, à main gauche le Saint-Laurent et à main droite quelques forêts et surtout de grandes plaines cultivées et des champs fauchés récemment : « qu’ei hè o arredalh ? » (c’est du foin ou du regain ?)
Le fleuve s’élargit de plus en plus et le chemin longeant le Saint-Laurent offre de pittoresques points de vue, comme la côte entourant Rimouski (4) ou la baie de Grand Métis. Vers 16 h nous arrivons au camping de MATANE (5), sur les hauteurs de la ville, dans une forêt de feuillus et de conifères, au bord de la rivière Matane. Au petit matin un écureuil nous rend visite cependant qu’égrène ses notes familières l’oiseau célébré par le poète québécois Raoul Duguay, l’engoulevent. Beaucoup de pêcheurs de saumon devant le parc aménagé du centre ville, au milieu des mouettes et canards. Au restaurant « les Délices« , plat de crevettes avec une salade chinoise … sans beaucoup de crevettes. Alain a râlé. Puis nous rencontrons quelques difficultés à monter notre tente.
2. Vendredi 17 juillet : de MATANE à CAP-de-GAPSÉ.
Départ de Matane autour de 10 h. Le fleuve continue de s’élargir et la montagne de se rapprocher. Succession d’anses et de baies, multitude de caps dès quittée Grosses-Roches (6). Peu à peu disparaît la rive Nord. La route suit de très près la rive Sud. Nous traversons de petits villages coincés entre la mer et la montagne, peuplés surtout de pêcheurs, principalement après Anse-Pleureuse. Voici le liste de nos arrêts pour cette deuxième journée : Cap-Chat (7), pour observer de loin le rocher ; Saint-Anne-des-Monts (8) avec sa visite du Manoir, perché sur un cap, garni de meubles anciens et d’ambiance apaisante ; MARSOUI où nous dégustons un très bon déjeuner à la pension « Cookerie » (pâté de saumon et morue) et où nous tentons vainement de visiter un moulin à scie, en arrêt momentanément hélas ; Rivière Madeleine et ses pêcheurs vidant, décapitant et découpant en filets la morue pêchée le matin même. Ce travail « artistique » pour nous autres citadins, ainsi que le ballet aérien des mouettes tournoyant au-dessus des déchets de viande jetés dans le port, furent l’objet du 2ème film de la semaine, après celui sur les îlots de Matane, tachetés de blanc par les mouettes. Avant-dernier arrêt à l’Anse-à-Valleau (9) où le port abonde de pêcheurs effectuent le même travail que précédemment. On quitte la Nationale 132 à Cap-des-Rosiers (10) pour atteindre, vers 17 h, le camping du-Havre, en bord de mer, adossé à la montagne recouverte de forêts. Cadre idyllique. Tout au long de cette journée l’image classique pour nous du Québec s’est déroulée sous nos yeux, avec ses vastes étendues d’eau, ses forêts à perte de vue, sa faible population rurale. Le soir, après une course du côté de Cap aux Os, sur la Route de Gapsé, puis du côté de CAP GAPSÉ (11) (vers l’extrémité du Cap), nous prenons notre premier repas dans le camping, face à la mer, autour d’un feu difficile à entretenir. Le coucher se fait tôt, en fonction de ce qui nous attend le lendemain : lever prévu vers 6 h. Mais …
3. Samedi 18 juillet : CAP-de-GAPSÉ.
Mais … De 22 h à 3 h du matin, tempête tonitruante (mais oui) avec un vent très violent et, par moments, des trombes d’eau suivies d’éclairs et de tonnerre. Difficile nuit donc mais lever matinal sans trop de problèmes. De 7 h à 9 h, croisière guidée tout au long du Cap-de-Gapsé. Temps magnifique qui permet de distinguer nettement toutes sortes d’oiseaux virevoltant autour des hautes falaises striées : mouettes, goélands, cormorans, aux cris caractéristiques, canards et autres « guns » à la queue rouge. Mais aussi des phoques , groupés à marée basse sur des rochers où ils se reposent en famille, cependant que quelques oiseaux du voisinage étirent leurs ailes afin de les faire sécher.
Après cette croisière un peu de repos fait de lecture et écriture sur la plage de sable grossier. C’est si bon ! Dans l’après midi un orage nous bloque au camp et nous en profitons pour récupérer de la fatigue des déplacements des deux jours précédents. Courte balade à la-Grande-Grève surplombant les anses et cheminant parmi des maisons de pêcheurs. Resto à CAP-des-ROSIERS (10), très valable, avec une bouillabaisse, darne de flétan, filet de sole. On en sort repus à cause des sauces. Une promenade digestive s’impose le long de la plage.
4. Dimanche 19 juillet : de CAP-de-GAPSÉ à PASPÉBIAC.
Départ à 9 h sous un soleil déjà chaud qui ne nous quittera pas de la journée. La baie de Gaspé est contournée durant de longs kilomètres. Elle est d’abord définie par le Parc de Forillon (12), aménagé en aire de repos et pourvu de randonnées, la route demeurant au niveau de la mer, face au Cap-de-Gapsé. La baie se termine par un ensemble de villages aux noms anglais, aux bâtisses imposantes, légèrement reculées, intégrées dans la verdure. L’ensemble constitue une suite d’anses arrondies qui méritent l’attention. Par contre, déception avec la ville de Gapsé, construite en étages, mais sans pittoresque apparent. Puis la route demeure sinueuse et vallonnée, longeant de nouveau la mer, vierge de tout bâtiment. Tout à coup surgit le Rocher-Percé de PERCÉ (13) qui se profile au loin, et on atteint la ville par le haut.
Site historique par excellence, Percé attire le touriste par son cadre et sa … cuisine. On en profite bien sûr. Mais le flot ininterrompu desdits touristes (dont nous sommes) nous effraie et on se contente d’une promenade pédestre le long de la plage, sans aller jusqu’au Rocher lui-même. Du Port on assiste à l’arrivée de plusieurs bateaux déversant les pêcheurs occasionnels qui repartent ensuite avec le poisson qu’ils ont eux-mêmes pêché et que quelques professionnels leur ont préparé, sous l’œil intéressé d’une multitude de mouettes se battant presque pour attraper les déchets jetés à l’eau (il nous vient la comparaison avec les colonies de vautours se disputant une carcasse de cheval en montagne). Pas de croisière autour de l’île de Bonaventure (16) où abondent toutes sortes d’oiseaux. Nous quittons cette « station balnéaire » vers 15 h, alors qu’une file imposante de voitures tente d’y pénétrer.
Deux arrêts ensuite, à l’-Anse-à-Beaufils et à Sainte-Thérèse-de-Gaspé, afin de filmer les vigneaux où se dessèchent au soleil les morues. Se suivent encore une fois de petites anses où s’ancrent soit des plages de sable soit des ports de pêche. L’œil poursuit sa cure de ravissement. Nous arrivons vers 16 h à Sainte-Adélaïde-de-Paros où un garçonnet en vélo nous indique la maison de Roméo Dupuis (« en face du dépanneur »), le cousin d’Hildège. Roméo nous accueille avec chaleur, ainsi que sa femme (dont je n’ai pas retenu le prénom) et leur « bébé », beau gaillard hockeyeur (le hockey sur glace est certainement le sport le plus populaire du Canada), le dernier des 5 enfants du couple, dispersés à Terre-Neuve, au New-Brunswick, à Montréal … Autour de quelques bières on parcourt un album de photos et l’arbre généalogique de la famille Dupuis. Roméo s’avère être un « personnage » de la contrée, avec qui on sympathise rapidement. Lui et sa femme, très intentionnée et ne manquant pas d’humour, regrettent leur invitation de la soirée, sans quoi ils nous auraient eux-mêmes invités à souper.
Vers 17 h on reprend la route pour une quarantaine de bornes qui nous mènent, après avoir traversé la ville industrielle de Chandler (14), à PASPÉBIAC (15), où un autre garçonnet nous conduit chez Jean-Luc et Géraldine Heyvang, des amis d’Hildège, connus par lui à Paris. Lui est architecte, elle optométriste. Les présentations faites ils nous proposent de camper derrière leur belle maison qui les loge depuis 2 ans. Là aussi l’accueil est très chaleureux. On y apprend l’histoire de ce village, un peu à part en Gaspésie, les efforts de rénovation des édifices de la Compagnie Robin, l’espoir d’y faire renaître une vie culturelle et artisanale, bâtie sur le passé mais tournée vers l’avenir. Jean-Luc nous fait visiter ce qui reste du Banc de Paspébiac, brûlé en 1964, en particulier un magnifique bâtiment, ancienne usine de poissons à 5 étages, aux énormes poutres entrecroisées, en train d’être restauré.
Encore un couple très sympathique qu’on espère revoir un jour, tout comme Roméo et sa femme.
5. Lundi 20 juillet : de PASPÉBIAC à SAYABEC.
Avant de quitter Paspébiac nous visitons le centre culturel aménagé dans un ancien hangar de la Compagnie puis nous partons vers Bonaventure (16), pour un court arrêt, avant de stationner sur une plage peuplée d’oiseaux non encore aperçus jusqu’alors : hérons et bécasseaux. La route continue de creuser son sillon au ras de l’eau. Quel régal, une nouvelle fois ! On apprécie, entre autres, la baie où se succèdent New-Richmond (17), Maria, dont on visite l’église en forme de tipi indien, Carleton (18). En cette dernière ville on achète du poisson sous diverse formes (soupe, pâté de saumon, filet de turbot) et on s’en va déjeuner en haut du MONT-JOSEPH, dans les 550 m d’altitude d’où on domine la mer devant nous, avec l’État du Nouveau-Brunswick au loin et, derrière nous les habituelles forêts à perte de vue. Après ce remarquable site touristique on s’écarte de la N 132 pour viser Miquasha et son Musée d’Histoire Naturelle (poissons et fossiles) puis Restigouche pour franchir un pont qui nous mène à Campbellton (19) au New-Brunswick.
Cheminant une vingtaine de kilomètres sur une route plus creusée que celles du Québec, on parvient à Matapédia (20) et on retrouve notre Province du Québec. Puis vient la longue vallée de la Matapédia, coincée entre deux montagnes recouvertes de forêts. La route longe la rivière en contre-bas. On avance harmonieusement. On s’arrête à deux scieries où on se fait expliquer le fonctionnement. Presque chaque village possède son moulin à scie que domine le brûloir. Outre le bois on note l’intense activité autour des champs. Après Sainte-Florence et Causapscal (21), petit détour par Lac-au-Saumon (22). Le camping d’Amqui (23) étant surchargé et celui de Val-Brillant introuvable, on se rabat sur SAYABEC (24), au bord du lac Malcom. Il faut endurer 4 kms de terrain poussiéreux mais le cadre est attrayant et le calme requis, vue la faible densité de population. Une fois de plus l' »oiseau de Dugay » nous a accompagnés durant toute la journée (bruant à gorge blanche).
6. Mardi 21 juillet : de SAYABEC à QUÉBEC.
Journée ô combien homérique ! La pluie nous réveille vers 6 h. « Ça va passer » dit l’un de nous. Mais ça a duré. Deux heures plus tard chacun s’arme de courage pour affronter l’ennemi tombant du ciel et démonter la tente en 3 minutes. Tous crottés, on pense amener la voiture près des douches, afin de s’y nettoyer avant le départ pour l’ultime étape. Mais point de réponse de l’auto, une Rabit. On a beau la pousser au milieu des flaques d’eau elle refuse ce petit service. On décide d’appeler un mécano, à 4 kms de là. Longue est l’attente. Transis, on accepte un petit déjeuner au bar du camping. Ce n’est que vers 9 h 30 / 10 h que se pointe le mécanicien, qui décide vite un remorquage. Étrange garage où le patron ne fait guère d’efforts de compréhension et où six ou sept gars conversent, s’asseyent, se relèvent, changent de pièce, conversent de nouveau etc … Seul un mécanicien, le mécanicien du « boute » cherche une solution … jusqu’à l’heure du déjeuner, 11 h 30. C’est de nouveau l’attente, jusqu’à 13 h, mais on a pris le soin de changer de vêtements. Il est alors question de … changer la pompe, rien que ça ! Hors, divers coups de téléphone laissent à croire que seule la ville de Québec dispose de la dite pompe. Compte tenu de la grève des Bus de la Compagnie « Voyageurs« , cette pompe ne serait ici que le lendemain ! Charmante perspective. Le village est à 3 kms, on serait bloqués dans ce … trou durant 2 jours ! On commence à paniquer. Heureusement, le mécanicien, plus finaud, et qui pourtant ne connaît pas les moteurs à injection, trouve, à force de patience, d’intuition et de chance, qu’il ne s’agit que d’un fil électrique qui a pris l’humidité et qui réduisait la pression à un endroit du circuit. Vers 14 h 30 on quitte notre … prison. Tout le monde nous salue, bien gentil et compatissant. Dommage que notre énervement nous ait limité dans notre désir de conversation. Après le bûcheron du moulin de la veille, le patron du garage est la deuxième personne qui nous ait vraiment donné du mal à comprendre. Mais il paraît que dans cette vallée bon nombre de Montréalais eux-mêmes connaissent ces mêmes difficultés de compréhension.
La pluie ne cessant pas de tomber on file dorénavant droit sur Québec, d’autant qu’une loupiote rouge s’allume parfois sur le cadran de bord et qu’elle alimente notre anxiété. On s’arrête à RIMOUSKI (4) pour déjeuner puis on enfile l’autoroute. Le brouillard cache par moments le Saint-Laurent et on ne regrette pas de rouler. Nous arrivons à Sainte-Foy autour de 19 h 30 où nous attend une collation appréciée avant d’effectuer une virée nocturne à Québec, retrouvant dans deux boîtes à chansons un couple, ami de Louise.
Fin du voyage. Un bin beau voyage.