Cet épisode des (ré)parties de campagne succède aux 5 précédents : 1 (novembre 2013), 2 (janvier 2014), 3 (janvier 2014), 4 (aout 2014), 5 (aout 2014).
Dans la série qui suit le Curé du village intervient assez souvent, en tant qu’acteur ou que … victime (sans dommage physique).
Le Curé Etché.
En Béarn, les bistro(t)s n’ont pas le monopole des chœurs car les chants religieux donnent aussi l’occasion de libérer les voix puissantes et justes des paroissiens et paroissiennes. Ainsi, sans voir l’intéressé(e) on peut attester de sa présence en reconnaissant de loin sa voix au milieu des fidèles. Dans les années 70 le Curé Etché veillait à animer son église et ne craignait pas de démarrer en « haute » son cantique, sachant qu’il serait suivi sans problème par ses ouailles. Toutefois, ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là (24 décembre), son démarrage très haut placé surprit quelque peu les habituels ténors de l’assistance, qui gardèrent le silence quelques instants. Mais ce silence ne dura pas longtemps car, du haut des tribunes s’éleva une voix que l’on n’avait pas l’habitude d’entendre, en ces lieux du moins, pour interpeller le curé. Il s’agissait de la voix du nommé Lacrouts, peu coutumier des offices religieux (il fréquentait plutôt des officines qui, à défaut de vin de messe, servaient du vin en masse) mais présent en cette nuit de la nativité.
« Òc ! Ven i tu si vòs ! » (Oui, vas-y toi si tu veux !) faisant ainsi comprendre au chef de la cérémonie que, en partant si haut, la voix du Curé risquait de rejoindre la voie du Seigneur.
On connaissait ce même Curé pour son art de vivre, en dehors de son Ministère. Au volant de sa voiture, il se déplaçait facilement chez les villageois(es), pour soulager l’un(e) en difficulté, pour blaguer un peu avec l’autre et boire un petit coup à l’occasion. Le déplacement en voiture n’était pas une règle générale alors chez les ecclésiastiques : bien se conduire, certes, pour respecter la loi du Seigneur, mais conduire bien son véhicule, pour respecter la loi humaine, c’était autre chose pour certains d’entre eux. Notre Etché ne refusait pas les collations qui suivaient par exemple une cérémonie (baptême, communion), et il pouvait même faire rire l’assistance par des propos parfois presque salaces. Bref, connaissant parfaitement ses paroissiens, il se permettait de temps en temps, en chaire, de nommer les familles participant au denier du culte mais de nommer aussi celles qui n’avaient pas encore versé (de mauvaises langues affirment même qu’il appuyait ses dires par des chiffres comparatifs !).
À l’écoute de l’engouement des villageois, surtout les hommes, pour le rugby local, il arriva au Curé Etché d’annoncer avec solennité, à la fin de la messe du dimanche matin : « Cet après-midi il n’y aura pas de vêpres car le FCO joue au Stade de Saint-Pée en un match primordial pour la suite du classement ». Lorsque l’importance du match était moindre Etché ne faisait qu’avancer l’horaire des vêpres.
Histoires de rugby.
Nous revenons sur le rugby oloronais cité plus haut en chaire par Etché avec deux images évoquées en décembre 2016 par l’éminent Pierre Salles lors d’une intervention à la radio France Bleue Béarn. Ce conteur est Professeur à l’Université de Pau mais aussi auteur de plusieurs chansons du répertoire des Pagalhòs (dont la Sobirana interprétée par la plupart des chorales béarnaises).
Dans les années 50 les rugbymen du FCO étaient plus connus (et reconnus) pour leur rigueur, leur vigueur et leur ardeur au combat plutôt que pour des arabesques de danseurs. En ce temps-là les équipes adverses rejoignaient en général la Capitale du Haut-Béarn par le train : ligne Pau-Oloron. Le chef de gare de la station, fervent supporter du FCO, savait accueillir les visiteurs par une annonce particulière (à défaut d’être chaleureuse) et personnelle, ce qui prouve bien que l’arrivée des « invités » ne laissait personne indifférent. Au lieu de proclamer au micro, à l’arrêt du train, le nom du terminus « Oloron Sainte-Marie » l’agent de la SNCF prononçait nettement et avec force les fatidiques « Oloron Sainte-Matraque « , en insistant bien sûr sur le dernier mot. Ce que l’on appelle une mise en condition.
On peut contester la véracité de la deuxième des anecdotes qui viennent, mais elle entretient les légendes bâties autour du rugby, celui d’Oloron encore.
À cette (lointaine) époque les enjeux financiers n’avaient pas encore phagocyté le rugby d’élite, et les joueurs, pratiquement tous natifs de la ville et des villages qui l’entourent, pratiquaient leur sport pour l’amour du maillot bleu et blanc (pour certains en espérant conquérir une belle), et sans avantage pécuniaire. Les arbitres ne ressentaient pas autant que maintenant la pression du résultat. Il n’empêche que les supporters des tribunes dites populaires les asticotaient si le score des locaux leur paraissait insuffisant, voir injuste. Ainsi s’élevaient parfois des travées l’exclamation « L’arbitre à la Mielle « , la Mielle étant le nom du ruisseau, pour ne pas dire le ru, qui longe le stade, juste derrière les tribunes. Une manière d’influencer l’arbitre qui pouvait imaginer une profondeur dangereuse pour lui de ce qu’il supposait être une rivière.
Ce n’est pas terminé pour les arbitres au Stade de Saint-Pée. Bénéficiant d’une complicité scientifique, des dirigeants du FCO se procurèrent un squelette humain qu’ils accrochèrent dans le couloir menant à la porte de l’arbitre. Comme celui-ci s’enquerrait de la raison d’une telle exhibition il s’entendit répondre, avec une certaine nonchalance, qu’il s’agissait des restes d’un arbitre rendu responsable de la dernière défaite du FCO sur ses terres il y a quelque temps déjà.
Renato
Un enfant du village, Renato, se distingua très jeune par son ingéniosité à provoquer ou organiser et réaliser des situations surprenantes et en général hilarantes pour le voisinage. Dans sa propre église le Curé Lacrabe (bien avant le précédent cité Etché) fut la principale « victime » de ce garçon.
Agenouillé aux pieds de Lacrabe pour servir la messe et aidé d’un comparse il se permit un jour de déboutonner par derrière la soutane de l’officiant qui n’eut de recours que de punir les deux acolytes.
En général Lacrabe utilisait une longue trique qu’il maniait avec dextérité et précision. Mais, connaissant les risques auxquels menait son incartade Renato avait dérobé la trique vengeresse pour la dissimuler quelque part dans la sacristie, si bien que Lacrabe n’eut pas d’autre alternative que de lancer son trousseau de clefs sur le perturbateur.
Parfois, profitant du dos tourné de Lacrabe, Renato utilisait l’encensoir comme un avion survolant les autres enfants de chœur. Ceux-ci contenaient difficilement leur rire.
Renato réalisa son plus bel exploit, au cours d’une messe, durant l’élévation, lorsque paroissiens et enfants de chœur « an lo cap baishat » (baissent la tête). Utilisant l’avantage d’être agenouillé à ce moment là, Renato provoqua un feu d’artifice inattendu. Pour cela, il avait préalablement dissimulé, sous le tapis jouxtant l’autel, un fil relié à des morceaux de bambou contenant … des cartouches. Une simple allumette déclencha le spectacle pyrotechnique.
Le Curé ne fut pas le seul souffre-douleur de Renato qui s’illustra aussi avec l’Institutrice par des gags qui amusaient la galerie, comme cette dépose de plusieurs escargots au bas de la vitre de la fenêtre de la salle de classe. La compétition fut bien sûr interrompue par « la regenta » avant que les concurrents franchissent la ligne d’arrivée située au milieu de la vitre mais le but de détourner un instant l’attention des élèves était atteint.
Enfin, Renato provoqua l’émoi de certaines personnes qui revenaient en vélo de la ville, à la nuit tombée, nuit bien noire en absence de lune et d’étoiles. A cette époque peu de rues étaient éclairées dans le village. Après avoir vidé une grosse citrouille il plaça à son intérieur une bougie allumée et disposa l’ensemble en haut d’un long piquet lui-même placé au sommet d’une colline voisine. De loin on ne distinguait ni le piquet, ni le haut de la colline mais seulement cette lueur blafarde qui semblait flotter dans l’air. Cette apparition intrigua certaines personnes, en effraya d’autres, qui imaginaient un engin extra-terrestre (on dirait Ovni maintenant).
Jacquot.
Dans chaque village il existe ou a existé des personnages aux réparties pittoresques et ce, pour certains, depuis leur enfance : ainsi, dans un village proche d’Oloron, le dénommé Jacquot qui maîtrisait déjà très jeune le Béarnais et ne gardait pas longtemps sa langue dans la poche, surtout quand il voulait se moquer de quelqu’un(e).
Déjà à 5 ans Jacquot ne manquait pas d’audace (ni d’irrespect pour les adultes). Comme il secouait avec énergie un petit poirier aux fruits mûrs la propriétaire de l’arbre malmené l’interpella :
« Que vòs donc har càder totas las peras ? » (Tu veux donc faire tomber toutes les poires ?)
La réplique fusa instantanément face à cette dame, pourtant une notabilité du village :
« Que hès ua beròja pera, tu ! » (Tu en fais une jolie poire, toi !)
Les adjectifs imagés que Jacquot utilisait mettait les rieurs de son côté. Ainsi, apercevant sa propre mère qui, en vélo, peinait sur la route menant à la ville, il lui lança un « cueishuda » (qui a de grosses cuisses) qui se voulait affectueux à défaut d’être encourageant : mais il n’aurait pas fallu que quelqu’un d’autre traite ainsi sa mère car notre ami avait la main leste quand il le fallait.
Une autre fois c’est un baigneur bien portant qui fut la cible de notre jeune impertinent. Il faisait paisiblement la planche au Pont Noir de Saint-Pée, ses formes arrondies dépassant nettement le niveau de l’eau, quand il s’entendit apostrophé d’un tonitruant « ventorut » (ventripotent) dont il ne parvint pas à déterminer la source parmi les nombreux plagistes.
Se déplaçant sur son vélo Jacquot se rapprochait d’une villageoise assez âgée, Margot, mais, surtout, très sourde. Encore à dix mètres de la dame, Jacquot lui cria un « Adiu » (Bonjour) des plus polis, bonjour resté sans réponse. Arrivé à cinq mètres de Margot notre héros renouvela un peu plus fort son « Adiu « , toujours sans réponse. Perdant patience, lorsqu’il arriva à la hauteur de la brave Margot notre Jacquot ne put s’empêcher de lui lancer :
« Òc, òc, e drin de mèrdeta, non ? » (inutile de traduire).
Personnages divers.
Nous terminons par des faits ou des répliques ne concernant plus un seul personnage particulier mais plusieurs.
À un voisin qui lui posait la question : « Perquè aqueras marcas sus las toas vacas ? » (Pourquoi des marques sur tes vaches ?) Armand répondit : » Tà poder comptar los curios deu vilatge « (Pour faire le compte des curieux du village).
Les abus de boisson conduisaient à des comportements inhabituels comme manger les fleurs d’un bouquet disposé sur une table de bistro ou attraper des papillons de nuit virevoltant autour d’une ampoule allumée avant de les avaler avec un peu de vin rouge pour faire passer plus facilement la substance agitée.
Pendant les fêtes du village des défis quelque peu désuets se jettent à la fin du bal et à l’extinction de la buvette. Ainsi celui de taper avec son poing dans des panneaux de la voirie afin de faire le plus de bruit possible, quitte à perturber le sommeil des riverains : interdiction de stationner, travaux, sens interdit … Ce soir-là, je devrais dire cette nuit-là, l’un des compétiteurs, Germain, arma son tir et frappa avec ardeur l’un de ces panneaux. Hélas pour lui, la cible visée … et atteinte, était incrustée dans un mur, mal éclairé. Le mur agressé ne broncha pas. Il n’émit aucun son, au contraire de Germain dont le hurlement nous fit comprendre qu’il y avait dégât sur le poignet, ce qui fut confirmé plus tard.
Après le curé une autre institution attire l’attention pour des anecdotes plutôt gentilles : la gendarmerie. Les trois contes qui suivent ne se termineraient pas aussi sereinement en ce jour (nous avons changé de siècle).
Interpellé par les gendarmes à la sortie du village l’ami Gaston nie ne pas avoir accroché sa ceinture de sécurité. Mais l’un des porteurs d’uniforme lui rétorque :
« Pas de chance, on vous suit depuis quelque temps et on a observé que votre ceinture traînait sur la route, bloquée par la portière ».
Le fait suivant concerne 4 fêtards rentrant paisiblement (qu’ils croyaient) à la maison lorsqu’un barrage de gendarmes les obligea à stopper. Après les vérifications d’usage on demanda aux quatre jeunes gens de descendre du véhicule et de marcher, chacun à leur tour, le long de la ligne blanche délimitant le milieu de la chaussée. Après cette épreuve les arbitres se consultèrent et s’accordèrent pour indiquer à l’un des quatre protagonistes :
« C’est toi qui prends le volant, tu es celui qui s’est le moins écarté de la ligne « .
Un beau matin d’été, un peu avant 6 heures, le dénommé Xavier traverse en voiture un village et se voit stoppé par la maréchaussée.
« Vous roulez à 80 dans une agglomération où la vitesse est limitée à 50 « .
« Putain … Con … (Exclamation habituelle de Xavier, pas destinée aux gendarmes particulièrement)… Je n’aurais jamais pensé que vous soyez déjà là à cette heure si matinale ! « .
« Vous saurez, Monsieur, que la Gendarmerie travaille 24 heures sur 24 ! « .
Peut-être la réaction spontanée du conducteur ne fut-elle pas trop sanctionnée.
Restons sur la route mais sans gendarmes cette fois. Certains enfants du village organisaient pour eux-mêmes des courses de vélo contre la montre. Le parcours consistait en une boucle à travers le bourg, sur des chemins étroits, et se terminait par une portion de la Départementale. Pour accéder à celle-ci et à son trafic parfois important, il fallait s’arrêter à un Stop, où la visibilité était masquée par les deux maisons situées en coin de rue. Un des concurrents ne désirait pas perdre du temps à respecter ce règlement pour adultes et pour engins motorisés. Aussi, lorsqu’il arrivait au croisement concerné il ralentissait à peine sa course pour effectuer un signe de croix qui devait le mettre à l’abri, pensait-il, de tout accident puisqu’il s’était placé sous la protection du Seigneur.