Il est des personnages, pour ne pas dire des personnalités, qui marquent leur époque par leur aura, leur faconde, leurs initiatives. Il en est ainsi de Jean-Baptiste qui illuminait son entourage par ses interventions calculées, tant physiques que verbales, mais aussi par ses improvisations.
A la campagne les rencontres régulières avec le monde animal engendrent des situations propices à l’amusement comme le montrent ces quelques histoires animalières qui mettent Jean-Baptiste en scène. A la lecture de certains des récits ci-dessous on pourrait penser que Jean-Baptiste n’avait que des rapports de force avec les animaux. C’est tout le contraire. Il respectait profondément ses veaux, vaches, cochons … et je peux assurer ne l’avoir jamais vu maltraiter l’un d’eux.
Jean-Baptiste et le chat.
Regagnant leur véhicule dans la nuit, à la clôture d’une fête de village, Jean-Baptiste et ses compagnons croisent un chat errant qui se frotte à leurs mollets (s’il avait su !), au risque d’en faire tomber certains à la démarche hésitante. Jean-Baptiste, saisissant au sol le félin (par la queue dit la légende mais je pense qu’il y a exagération), le propulse vers le toit du cabanon tout proche en lui expliquant le pourquoi de la manœuvre.
– Tu qu’es un gat de gotèra, torna-t-i.
– Toi qui es un chat de gouttière, retournes-y.
C’est en ronronnant que le chat accompagna le groupe, en longeant le toit sur quelques mètres , tout heureux d’avoir atteint ce dernier sans effort.
Jean-Baptiste et le chien.
Pétit, le chien de berger de la ferme Mouly, lorsqu’il ne travaillait pas au talon des vaches, somnolait dans le fossé de la route. A l’époque les automobiles se faisaient rares et roulaient lentement, sans que la maréchaussée y soit pour quelque chose. Le grand plaisir de Pétit consistait à bondir soudainement pour essayer de mordiller les pneus de la voiture, ce qui pouvait effrayer certains conducteurs surpris par l’attaque et provoquer même un écart du véhicule d’où sortait, par la fenêtre entr’ouverte, un juron bien connu, popularisé plus tard par Jean-Claude Coudouy. Cette gymnastique canine ne plaisait guère à Jean-Baptiste qui passait assez souvent devant la ferme Mouly. Il arriva un jour au volant de son auto, encore plus lentement que d’habitude, à la hauteur de l’animal, et ouvrit brusquement la porte de la voiture au moment où Pétit se jetait sur celle-ci, non moins brutalement. Inutile de dire que le voisinage perçut deux sons différents mais simultanés : celui d’un léger choc entre deux solides et celui d’une voix plaintive.
Depuis cet épisode, quand il apercevait la voiture de Jean-Baptiste se rapprocher de lui, Pétit feignait de dormir ou tournait négligemment la tête de l’autre côté.
Jean-Baptiste, la poule et le chien.
Parfois un chien de ferme ne parvient pas à réfréner ses envies de courser, voire trucider et parfois croquer, les poules en liberté dans la cour ou le pré. Il ne s’agit plus du Pétit de l’histoire précédente mais de Soumisse, friand de gallinacés. Réprimandé vertement lorsqu’il ne faisait qu’ affoler les poulardes, il en étrangla une un bon matin, ce qui ne pouvait pas rester sans punition. Pour cela l’idée de Jean-Baptiste consista à enfermer dans le même sac de jute l’agresseur et l’agressée, Soumisse et la poule, secouer les deux animaux dans le sac et frapper, avec modération, à l’aide d’un bâton, le seul Soumisse. Coups assénés sans trop appuyer mais suffisamment pour que l’échine du quadrupède s’en ressente. De sorte que Soumisse pensa que c’est la poule qui lui administrait cette correction.
On peut supposer que, une fois libéré de sa prison juteuse, Soumisse regarda dorénavant d’un autre œil les poules et, comme Pétit, détourna la tête quand il en croisait une.
Jean-Baptiste et les poulets.
Les poulets concernés par cette histoire ne vivent pas dans un poulailler mais dans une cage, en l’occurrence un fourgon, puisqu’il s’agit des agents de police réquisitionnés pour la surveillance d’une fête nocturne villageoise. Peut-être appelés pour régler un différent sur la piste du bal, ou pour s’abreuver à la buvette, diraient les méchantes langues, nos représentants de l’ordre eurent la malencontreuse idée d’abandonner tous leur fourgonnette quelques instants, quelques instants de trop, et de plus à l’écart de la foule. Il se trouva un joyeux drille, peut-être bien Jean-Baptiste, qui profita de cette absence des képis pour dégonfler les roues du véhicule (fallait-il qu’il soit lui-même gonflé pour oser cette intervention !), aidé par quelques comparses qui guettaient un retour possible des uniformes et devaient dans ce cas prévenir Jean-Baptiste par une chanson codée. Il fallut faire appel à un deuxième convoi pour ramener nos infortunés policiers à leur commissariat.
Cette aventure ne se renouvela jamais plus car un occupant au moins resta dorénavant dans la fourgonnette durant toute la nuit.
Jean-Baptiste et les vaches.
Au quartier La Mouline, au-dessus d’Arette, il arrivait que les jeunes gens finissent au petit matin leur nuit du samedi, dans l’auberge de Rosalie – qui aurait mérité une chanson de Nadau pour services rendus, comme pour Maria et Denise. Cette fois là les fêtards concernés arrivèrent plus tôt que d’habitude devant l’établissement tenu par Rosalie. Celle-ci et son époux dormaient encore au premier étage donnant sur rue. Malgré quelques appels discrets suivis de vociférations musicales, les volets de la chambre demeuraient clos. Conseillé par ses amis, car on ne va pas l’accuser d’être à l’origine de tous les chahuts de la vallée, Jean-Baptiste s’empara d’un long bâton qui traînait dans le coin et s’en servit pour frapper à plusieurs reprises le volet en bois, en commentant à haute voix :
– Vam, Rosalia, desvelha’t. De tota faiçon que’t va caler lhebà’s en mieja òra tà mólher las vacas !
– Allons, Rosalie, réveille-toi. De toute manière tu vas devoir te lever pour traire les vaches dans une demi-heure !
Touchée par cet argument imparable Rosalie ouvrit ses conte-vents et accepta, presque en souriant, de descendre en cuisine pour nous confectionner l’omelette habituelle, à un tarif dérisoire, malgré le service forcé.
Dans la dernière anecdote n’ intervient pas un animal mais un autre être vivant bien connu: un humain.
Jean-Baptiste et le caillou.
Du temps de son adolescence Jean-Baptiste eut un conflit verbal avec un autre jeune, Marcel, et, les propos s’envenimant, Marcel préféra s’échapper en courant pour éviter la claque promise. Mais Jean-Baptiste, plutôt qu’essayer de le rattraper, se saisit d’un caillou à terre et le lança dans la direction du coureur, mais en visant les jambes de ce dernier. Fin chasseur, de palombes particulièrement, notre tireur prouva sa dextérité car le caillou atteignit sa cible au mollet.
La conclusion de notre héros mérite citation :
– Marcèu qu’a comprés aqueth dia qu’un calhau anaré tostemps mei viste qu’eth.
– Ce jour-là Marcel a compris qu’un caillou irait toujours plus vite que lui.